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Rome s'est défaite en un jour

Rome s'est défaite en un jour

Frédéric Clément

53 avant Jésus-Christ. La Gaule semble pacifiée mais un homme se lève pour mettre à bas l’envahisseur : Vercingétorix. Amené à l’approcher, Gaius va apprendre plus qu’il n’en faut sur ses origines réelles. Au point de voir ses acquis renversés. Quelle attitude va-t-il adopter ? Pourra-t-il encore se battre aux côtés de ceux qui sont devenus ses ennemis ?

Au cours de ces événements qui marqueront à jamais l’Histoire de toute une nation, pénétrez plus avant dans les aventures d’un être qui décidément n’est pas comme les autres. Frédéric Clément poursuit là son voyage au travers des portes du temps, vous emmenant à Gergovie et Alésia, au travers d’un récit épique et mystérieux. Il est temps que se révèle enfin la légende de Lykanthropia…

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Éditeur : Libre2lire Langue : français
Genre : Histoire Sortie : 6 septembre 2019
Sous-genre : Antiquité
Série : Lykanthropia #2

Biographie

Frédéric Clément

Marié et père de deux charmantes petites filles, Frédéric Clément est bibliothécaire et titulaire d’un master en histoire contemporaine et moderne. Cette passion pour l’histoire, il l’a met au service de ses récits mêlant événements réels, épiques et fantastiques.

La jeunesse de Bepolitan

Lourde charge

 

Il regarde ses camarades qui s’entrainent en des simulacres de bataille. Bientôt lui aussi va devoir entrer dans le cercle de sciure et prouver à tous sa valeur. Le problème, c’est que Bepolitan est censé être meilleur que n’importe qui. Tout d’abord parce qu’il est plus grand et plus costaud que les autres, mais aussi et surtout parce qu’il est le fils du Roi. Dur héritage que celui-là.

Né alors qu’à Rome un certain Sylla venait d’être nommé dictateur[1], le jeune homme est un Ségusiave. Très tôt, son père l’a entretenu de ce territoire qu’il dirige, l’emmenant avec lui sur la plus haute montagne pour qu’ensemble ils puissent en embrasser l’immensité :

— La Ségiusiavie est vaste Fils[2]. Nous sommes installés ici depuis fort longtemps[3] et même mon propre père ne se souvient pas  de la construction de notre oppidum principal[4].

Bepolitan connait fort bien cet endroit puisqu’il est son chez-soi. Il aime s’y balader, dans ces rues tortueuses, agrémentées de forges, d’ateliers où on y travaille le bois et le cuir, de commerces qui font des affaires même jusqu’à Massalia, y vendant des amphores pour le vin[5]. On échange même de l’or, de l’argent, de l’étain et des gemmes contre des épices, des aromates et des étoffes venues du Moyen-Orient[6]. C’est que toute la vallée est la porte de l’Occident menant au monde méditerranéen et donc au reste de la vaste étendue sur laquelle vivent les Hommes. La tâche qui attend Bepolitan est lourde :

— Notre famille est à la tête d’une place stratégique primordiale qui est convoitée par maintes puissances. C’est ici que les Phéniciens et les Romains construisent peu à peu leur empire maritime, poursuit son père.

C’est vrai : le jeune homme a vu à de nombreuses reprises les grosses pièces de chêne tirées par des attelages de bœufs passer sur les chemins de leurs terres. Elles sont descendues des pentes des montagnes jusqu’au bord du Rhône, puis des draveurs les dirigent jusqu’aux chantiers navals du Golfe de Fos. C’est sans doute pour cela que les colonies méditerranéennes de la vallée entretiennent de bons rapports avec les Ségusiaves : un traité d’alliance existe avec Rome[7]. Ce n’est pas le cas des Eduens. Depuis toujours les rapports avec ces grands frères ambitieux ont été tendus. Parfois marqués par une franche amitié, ils sont la plupart du temps ambivalents[8] : les Eduens cherchent sans cesse à s’emparer du nord de la Ségusiavie, là où se trouve le corridor orienté est-ouest, entre le Ligier l’Arar[9] qui constitue une voie terrestre reliant les trois plus importantes mers du continent[10]. Et puis il y a les Arvernes, les ennemis déclarés. Le père de Bepolitan a interdit la circulation de leurs monnaies sur tout son territoire.

— Mais malgré notre force, continue son géniteur, nous n’avons pas la puissance que je souhaiterais. Notre agriculture est modeste[11]. Nous ne sommes qu’un peuple de cavaliers et de bûcherons, soupire-t-il.

Bepolitan le trouve dur. Les Ségusiaves sont plus que cela à ses yeux et il aspire à le prouver quand il sera à son tour roi. Sortant de ses pensées, il remarque que Brieg a été mis à terre par son adversaire, Contessio. Cela n’a rien de surprenant : ce dernier est le meilleur combattant, après le fils du Roi bien sûr. C’est à son tour d’entrer dans le cercle.

Serrant sa longue épée façonnée par le meilleur des forgerons de la place, il jauge son adversaire qui est aussi son meilleur ami. Les cheveux châtains clairs, les yeux de la teinte des marrons qui pullulent sur les arbres à l’automne, les traits du visage hésitant encore entre enfance et âge adulte, Contessio possède un charme évident qui a le don de faire passablement retourner bien des regards féminins sur son passage. Et comme il excelle dans l’art de la discussion et plus encore dans celui de la séduction, autant dire qu’il ne compte plus ses conquêtes. Tout le contraire de Bepolitan qui fait figure de novice hésitant en ce domaine.

Malgré le fait qu’ils soient équipés de leur arme, ces joutes ne doivent en aucun cas déboucher sur une blessure. Les règles mises au point par le fils du Roi sont claires à ce propos : tout méchant coup entraîne une disqualification immédiate. Le but de ces combats est d’améliorer sa dextérité et de s’entraîner. Catuotos, le père de Bepolitan vient parfois y assister, question de repérer l’un ou l’autre potentiel bon guerrier, mais il n’a pu se libérer en ce jour. Peu importe, son fils en est même aise, parce qu’il juge son attitude déplacée. N’est-il pas le meilleur de tous ? Pourtant jamais Père ne l’a désigné pour rejoindre son armée. A croire qu’il cherche à l’humilier et c’est bien ce qui se murmure parmi les jeunes hommes de l’oppidum. Bepolitan a fêté ses 15 ans en juin, il est largement en âge de se battre, non ?

Les deux protagonistes se défient un temps, chacun campant sur sa position dans la sciure, cherchant une faille. Le grand adolescent finit par se lancer en premier, jugeant certainement que l’effet de surprise est son meilleur allié. C’est donc l’épée levée qu’il se jette sur Contessio, arrivant si vite grâce à ses longues jambes que ce dernier manque de trébucher en voulant l’éviter. Toutefois cette attaque demeure sans lendemain puisque le plus petit parvient à contenir la lame qui cherchait à le toucher de son plat, non sans difficulté au vu de la grimace ornant les traits de Contessio. Bepolitan ne peut s’empêcher de s’en amuser intérieurement : il n’avait aucunement l’intention de mettre un terme à leur lutte aussi rapidement. Il s’agissait juste d’une petite escarmouche visant à tester son adversaire. Le résultat est des plus satisfaisants : son ami a une fois encore été dépassé par la rapidité et la force de son rival d’un jour. Personne ne peut le battre.

A présent il se baisse, fait mine de le frapper, pour mieux le contourner et le voilà dans le dos de son concurrent. Décidément c’est trop facile. Hop un coup de pied dans les fesse de Contessio et le pauvre bougre chute dans la sciure, sous les hourras des quelques spectateurs présents, principalement les autres combattants. Puis tous rient. Bepolitan éprouve aussi une certaine peine à demeurer sérieux, mais en bon prince qu’il est, il retient son hilarité et laisse son opposant se relever. Ce dernier ne partage bien évidemment pas la joie ambiante et d’une voix marquée par la colère et un agacement compréhensible, il lance à l’adresse du grand gaillard blond comme les blés :

— C’est bon. Tout le monde sait que tu es le plus fort. Pas la peine de me ridiculiser.

Il fait mine de se diriger vers la sortie du cercle, puis se retourne d’un coup et alors qu’il bondit tel le plus vif des félins, il hurle :

— Mais je n’ai pas dit pour autant mon dernier mot !

Bepolitan n’éprouve guère plus de difficulté à esquiver cette charge et Contessio, entrainé par son élan poursuit quelques mètres avant de parvenir enfin à stopper sa folle cavalcade. Clairement agacé désormais, surtout parce que le public repart dans des rires sonores et des paroles moqueuses, il doit encore affronter les quolibets de son camarade :

— Tu veux que je jette mon arme ?

— Pas la peine, rétorque le jeune homme châtain. Je t’aurai à l’usure.

A ces paroles, Contessio se met en garde et attend à présent son rival de pied ferme. Bepolitan avance, les deux mains serrant son épée avec fermeté et quand il parvient à sa portée, il lui décoche une première attaque. Maintenant c’est dans un furieux duel qu’ils s’engagent, les lames s’entrechoquant à chaque coup, aiguisant l’intérêt de l’assemblée qui apprécie pareil lutte. Les choses semblent plus égales : il est vrai que Contessio sait manier son épée comme personne. En ce domaine il surpasse même Bepolitan. Sauf que ce dernier a plus d’un tour dans son sac et quand il feinte une énième attaque, il pousse son adversaire à la faute, lui faisant perdre une fois encore l’équilibre.

La chute est dure et Contessio lâche un soupir quand son visage entre en contact avec la sciure qui macule instantanément ses traits.

— C’est bon ? demande le grand blond.

Son ami se retourne vers lui. Il semble furieux, mais après quelques secondes, le voilà qui sourit en déclarant :

— Oui, j’ai eu mon compte.

— Tu as été brave.

Puis le fils du Roi se retourne vers les autres et continue :

— D’ailleurs il est le plus valeureux après moi. Vous pouvez vous moquer de lui, mais il est votre modèle. Respectez- le !

Voilà des paroles de chef. Alors que peu à peu les autres adolescents quittent l’endroit où a été érigé le cercle, les deux camarades demeurent seuls. Bepolitan aide Contessio à se relever, puis ils se dirigent à leur tour vers la taverne la plus proche, non sans se charrier. Ils sont ainsi. Des amis sincères que rien ne peut séparer. Du moins le croient-ils. L’avenir leur donnera hélas tord et c’est à partir de cet instant que le destin du fils du Roi a basculé.

 

La pire des infamies

 

Être le fils du Roi a offert à Bepolitan des avantages indéniables dont il ne peut bien évidemment pas se plaindre. Son enfance a été tout d’abord d’une quiétude certaine. Il a ensuite reçu la meilleure des éducations, à commencer par l’art du combat. Sa taille hors norme pour son âge, doublée d’une force qui ne l’est pas moins augmente encore ce talent. Mais il y a un domaine dans lequel il n’excelle guère : la séduction.

Se baladant dans les ruelles étroites, il est perdu dans ses pensées. L’oppidum est constitué de deux remparts : un principal large de quatre mètres qui englobe la colline où se trouvent les premières habitations bâties en des temps immémoriaux et un secondaire qui entoure une zone plus large. Un ouvrage défensif avancé a été ajouté devant l’une des trois portes. Au sommet se situe le bastion intérieur où il loge avec son père et sa garde. L’oppidum contrôle le débouché des gorges de la Loire et est entouré de ravins abrupts qui le rendent imprenable.

Bepolitan a été éduqué par les druides. Cet enseignement n’est réservé qu’à la noblesse guerrière des Gaulois, celle que César nommera chevaliers[12]. Les deux valeurs qu’on lui a inculquées sont le courage et le mépris de la mort. Cette dernière n’est à ses yeux qu’un simple fossé qu’il suffit de savoir sauter. Cependant il a appris à craindre les dieux. Initié par les anciens à l’art de se battre, il n’est pas encore considéré comme totalement mûr parce qu’il n’a pas achevé sa formation. Il n’a donc pas voix à l’assemblée. Sa première expérience a été acquise par la chasse aux sangliers, à l’aide d’épieux et de coutelas. Puis il a appris à dresser les chiens, lâchant l’animal sur sa proie de manière à faire se déchainer toutes ses forces sauvages au moment le plus propice[13]. Pour chasser les oiseaux, il a usé d’un javelot qu’on lance sans propulseur, mais qui va plus loin que n’importe quelle flèche[14]. Après les animaux sont venus les êtres humains : la chasse l’a préparé à la guerre, lui conférant la sauvagerie nécessaire à terrasser le futur ennemi.

Mais Bepolitan a beau être le meilleur jeune guerrier ségusiave, brutal et dénué de toute commisération pour son adversaire, il n’en est pas moins sensible. C’est pour cela que son père hésite encore à l’incorporer à son armée. Il nourrit de grandes inquiétudes concernant cet être qu’il aurait souhaité parfait. A ses yeux il n’est pas prêt à devenir son successeur. Mais de cela, le fils n’en sait rien et il pense que son père n’a que mépris à son égard. Si seulement ils s’étaient parlé.

Bepolitan est à un âge où la gente féminine est devenue un centre d’intérêt pour le moins marqué. L’élue se prénomme Ritona. Elle est la fille du chef de la garde de son père et il la côtoie donc quotidiennement, ce depuis sa plus tendre enfance. Bepolitan et les choses de l’amour, cela ne fait assurément pas un, mais bien deux. Il a beau être délicat et doté d’un esprit raffiné, il perd tous ses moyens quand il s’agit de s’adresser à une jeune fille et plus particulièrement à Ritona qui fait battre son cœur. Habitué à dominer tout ce qu’il entreprend et à le réussir haut la main, il s’en veut énormément quand il repart tête basse, joues cramoisies, tête bourdonnante, sans avoir osé avouer ses sentiments à sa belle. Ce n’est pourtant pas faute de se convaincre d’y parvenir à chaque fois. Au final, il n’a guère dû échanger plus de trois paroles en un mois avec la jolie ségusiave depuis qu’il a pris conscience de son amour pour elle. Elle doit assurément se demander ce qui lui arrive : avant ils jouaient toujours ensemble et passaient des journées entières à discuter.

Cette fois c’est décidé : il ne reculera pas. Mû par une farouche volonté, poings serrés, il reprend la direction du bastion et franchit la porte gardée par les plus valeureux guerriers du peuple ségusiave. Répondant à leur salut respectueux, il arpente ensuite les couloirs qui mènent à la chambre de sa belle, espérant l’y retrouver. Mais alors qu’il est sur le point de frapper à la porte de celle-ci, son attention est attirée par des chuchotements provenant manifestement d’un autre couloir. Il lui semble avoir reconnu le ton de Ritona, c’est pourquoi il repart vers là.

Deux corps qui s’enlacent, des rires, des mains qui s’immiscent sous des vêtements dans la moiteur de cette alcôve donnant sur l’extérieur par l’entremise de quelques arches que ne renieraient pas les Romains. C’est bien Ritona. Bepolitan ne peut pas encore identifier l’homme qui la soumet à mille caresses et baisers parce qu’il lui tourne le dos. Mais cette seule vision suffit déjà à le tétaniser de stupeur. Pourtant quand l’inconnu révèle subitement ses traits à la faveur d’un mouvement, il n’en tressaille que davantage : il s’agit de Contessio. Traitre, a-t-il envie de murmurer.

Le premier sentiment qui lui vient à l’esprit alors qu’il se tient encore bêtement au milieu du couloir, sans pour autant que le couple ne l’ait remarqué, c’est la colère. Comment est-ce que celui qui se prétendait, parce qu’il faut bien parler au passé, être son ami a-t-il pu lui faire cela ? Il sait quels sont les sentiments que Bepolitan porte à Ritona. Il lui en a assez fait part et ce salaud ne s’est pas privé de lui donner des conseils, jouant au parfait camarade qu’il n’est pas. Bien au contraire, il ne s’est pas privé de sauter sur celle qu’il convoitait.

Le deuxième sentiment c’est la rage. Une rage dévastatrice qui monte telle une déferlante dans son corps, le faisant frissonner et enfermant son esprit dans une gangue glaciale de violence qui l’amène à voir désormais tout ce qui l’entoure sous une lumière violente qui n’a plus rien de naturel. Serrant les poings, autant que les mâchoires, il est prêt à sauter sur ces deux êtres qui se sont bien fichus de lui. Peu importe ce qui arrivera désormais, il n’écoute plus sa morale et encore moins cette petite voix qui lui lance des non ! stridents. Qu’ils meurent !

Mais alors qu’il est sur le point de se saisir de l’impudent, voyant ce dernier se retourner en un ralenti comique quand il prend conscience de sa présence, les traits du visage décomposés par la surprise, il tombe sur le regard terrorisé de Ritona. A partir de ce moment c’est la tristesse qui renverse tout sur son passage et il se retrouve bras ballants, animé par un abattement aussi inattendu que tenace. Pourquoi doit-il toujours être celui que personne n’aime ? N’a-t-il pas droit aux bras d’une femme ? Régner est une chose, mais devoir le faire seul, cela ne l’intéresse pas. Il préférerait mille fois être un simple paysan si les dieux lui promettaient en échange une personne avec qui partager son existence. Ritona était sienne. A présent elle lui a échappé pour de bon. La tuer, tout comme massacrer cette ordure qui joue les jolis cœurs n’arrangera rien à sa situation. Bien au contraire : il ne pourra vivre avec cela sur la conscience. Bepolitan n’est pas un monstre.

Alors il s’en va, trainant des pieds. Aucun des protagonistes de cette scène n’ose ouvrir la bouche. C’est sans doute mieux ainsi, parce qu’il n’est pas certain qu’il ait changé d’avis si Contessio avait déclaré quoi que ce soit. Peut-être que si Ritona… Non, mieux vaut ne pas y penser. Et puis de toute manière elle s’est tue. Lorsqu’il émerge à nouveau au grand jour, il ne peut contenir plus longtemps cette déferlante de tristesse et c’est en courant qu’il prend la direction de la sortie de l’oppidum, sans trop savoir pourquoi, ni vers où il escompte aller. Tout ce qui lui importe c’est de mettre un maximum de distance entre lui et ses malheurs. Parvenu dans les bois, il finit enfin par s’arrêter et tombe à genoux, au pied d’un chêne vénérable, celui où le druide aimait à l’instruire de sa vie future d’adulte. Il ne s’agit que d’un hasard pourtant.

Mais voilà que la rage revient et c’est en éructant cette dernière, grognant puis criant pour de bon qu’il se redresse et qu’il se met à frapper le tronc de ses poings. Plus rien ne peut l’arrêter, pas même la douleur. Il rêve à présent que ce bout de bois soit le corps de Contessio et s’efforçant de le briser, il tape encore et encore, se meurtrissant à chaque coup. Ils ont grandi ensemble, ont tout partagé. Contessio est le fils du conseiller de son père et forcément il connait également Ritona puisque tous trois ont vécu comme les enfants d’une même fratrie. Que d’heures passées en jeux dans les grandes salles de la demeure royale. Jamais il n’aurait imaginé que son meilleur ami puisse avoir des sentiments pour la demoiselle. Il avait bien assez de prétendantes de toute manière. Ne disait-il pas également que Ritona était comme une sœur ? Il affirmait même être gêné par les sentiments que Bepolitan lui portait, faisant naître en lui une once de honte finalement bien déplacée au vu de ce qui vient de se passer.

— Espèce de raclure…, grommelle-t-il en reprenant son souffle. Tu m’as bien eu. Vous m’avez possédé, rectifie-t-il dans un rictus de haine. Depuis combien de temps fricotez-vous ensemble ?

Il est sur le point de frapper à nouveau le tronc, de son pied cette fois-ci, quand il entend des bruits de pas dans son dos. Se retournant d’un bloc, prêt à faire trépasser l’impudent qui ose le déranger, parce que ce ne peut qu’être l’un des deux fautifs, il sursaute en voyant déboucher son père d’un gros buisson. Lui adressant un regard inquisiteur, ce dernier lance de sa voie bourrue, non sans regarder ses poings meurtris et maculés de sang, ainsi que ses traits défigurés par la colère :

— Qu’est-ce qui t’arrive ?

— Laisse-moi tranquille…

Le Roi ne peut admettre pareil comportement, même de son fils et c’est donc avec son ton autoritaire qu’il reprend :

— Montre-toi plus respectueux !

Bepolitan se contrefiche de ses injonctions. En ce moment il n’a pas le cœur à écouter qui que ce soit et encore moins à entrer en conflit avec cet homme qui semble prendre un malin plaisir à le tyranniser. Tête basse, il s’en va, non sans bousculer son père qui refuse de s’écarter alors qu’il avance. C’en est trop, Catuotos empoigne sa progéniture. Cette dernière ne se laisse pas faire et se débat et alors qu’ils semblent être tous les deux sur le point de se battre, le souverain éclate d’un grand rire, avant de murmurer, les mains serrant toujours sa tunique au niveau du cou, mais d’une étreinte moindre :

— Je peux sentir ta rage. C’est bien. Voilà le sentiment que je voulais voir briller dans tes yeux. Tu es prêt désormais.

— A quoi ? murmure Bepolitan.

— Une grande destinée t’attend.

Haussant les épaules, il n’a guère plus envie de l’écouter ou de discourir de cela. Non, à présent c’est à nouveau la tristesse qui assaille son être. Il est sur le point de rétorquer à son père qu’il peut tout aussi bien le laisser tranquille, du moins aujourd’hui, mais l’ancêtre n’en a pas terminé avec lui :

— Ton heure sera bientôt venue. Je le sens. Segeta[15] a été formelle : il ne me reste plus beaucoup de temps à vivre.

A ces mots, Catuotos ouvre sa propre tunique et révèle une poitrine marquée par une protubérance énorme qu’il dissimule pourtant sous le tissu. Le regard rivé sur cette horreur qui déforme son ventre, Bepolitan ne peut que grimacer. Oui, la déesse a vu juste : cette chose n’annonce en rien quelque-chose de bon. Père va mourir d’ici peu.

 

 

 

Assumer son destin

 

Bepolitan est assis sur ce trône qui est devenu le sien à la mort de son père. Trop tôt, bien trop tôt. Après la révélation du mal dont il souffrait, Catuotos a trépassé en moins de trois mois et voilà que l’adolescent s’est retrouvé propulsé sur le devant de la scène. Il a pardonné à son père, surtout quand celui-ci lui a révélé qu’il était son préféré. Ses frères n’étaient pas aptes à régner : seul l’aîné possédait les vraies vertus pour le faire, voilà pourquoi il s’était montré plus dur avec lui. Dans un premier temps il s’est senti puissant et ne s’est pas privé d’user de ce pouvoir en posant un premier acte fort : la mise au ban de deux êtres pour lesquels il n’avait que répugnance. C’est ainsi que Ritona et Contessio ont été chassé du territoire ségusiave, sans que le souverain ne manifeste aucune émotion quand la jeune femme l’a supplié de revenir sur sa décision. Il n’avait aucunement besoin d’entendre ses jérémiades : à ses yeux elle n’existait déjà plus. Quant à Contessio il s’est contenté de lui adresser un regard chargé de reproches, puis une résignation pesante a succédé à ce sentiment. Il savait de toute manière que son ancien ami était en colère et que dans ces moments-là il était vain de lui parler.

Puis Bepolitan a poursuivi sa vengeance, parce ce que c’est bien de cela dont il s’agissait, en purgeant la garde rapprochée de l’ancien Roi, à commencer par le père de Ritona qu’il ne voulait assurément pas comme chef de cette dite garde. Il craignait qu’il ne cherche à s’en prendre à lui après avoir chassé sa fille. Pour faire bonne mesure il a ordonné la mise à mort de tous ces vaillants guerriers, devenant par cet acte un roi brutal et intransigeant. Dès ce jour il a été respecté de tous. Mais vivre avec ce poids sur la conscience n’est pas chose aisée et depuis il ne dort que rarement, hanté par les images de cette nuit de massacre.

Pour retrouver la sérénité il s’est adonné à ce qui allait devenir une passion : la sculpture sur bois. Se perdant en des conceptions toutes plus incroyables les unes que les autres au cours de ces nuits sans sommeil, il a conçu de magnifiques œuvres. Toutes ont hélas fini dans le feu, jeté de sa main, parce qu’il ne voulait pas que les autres voient cette facette de sa personnalité. Peu importait, il se sentait heureux quand il sculptait et c’était tout ce qui comptait. Au moins dans ces moments il avait le sentiment d’être humain : d’ordinaire il inspirait la peur à son peuple. Lire pareille angoisse dans les yeux de ceux qu’il croisait était certes jouissif, mais il aspirait à mieux. D’où cette tristesse de plus en plus pesante qui le tenaillait depuis quelques temps.

Nous sommes en 63 avant Jésus-Christ. Bepolitan a 21 ans et pourtant il est toujours seul. Malgré sa puissance et sa position il n’a pas trouvé femme. Elles aussi le craignent. Et comme il n’est toujours pas doué dans les choses de l’amour, autant avouer qu’il n’est pas prêt de se marier. A moins qu’il n’use de la force. C’est ce que Vitorix, son conseiller, n’a de cesse de lui seriner, mais ce n’est pas de ce genre d’union dont il a besoin. Voir sa potentielle épouse trembler à chaque fois qu’il s’en approchera n’a rien de motivant. Il veut trouver celle qui l’aimera réellement et qui n’aura pas peur de lui. Pour ce faire, il doit dénicher une femme qui ne le connaisse pas et qui vienne donc d’un lointain territoire. Mais pour l’instant il n’a pas eu loisir de se lancer sur ses traces parce que le devoir l’appelle au quotidien. Et justement en ce jour, les événements sont particulièrement prenants.

Les Suèves, peuple germain ont entrepris une lente migration vers le sud-ouest après que les Cimbres, les Teutons et les Ambrons[16] se soient eux aussi mis en mouvement. C’est toute la Germanie qui a modifié sa répartition territoriale avec ces déplacements. Devant cette poussée suève, une coalition celte comprenant les Rauraques, les Usipètes, les Tenctères, une partie des Boïens et les Helvètes s’est constituée[17]. Une bataille a eu lieu près de Magetobriga[18] : les Celtes ont été défaits et les Suèves ont poussé plus avant vers le sud et l’ouest. Ils vont jouer un rôle prépondérant d’ici peu.

Voilà deux ans que les Eduens sont considérés comme le peuple le plus puissant de la Gaule, que ce soit militairement et politiquement. D’ailleurs Bepolitan est leur client. Cette prépondérance fait bien des envieux, principalement chez leurs voisins arvernes qui ne rêvent que d’une chose : les renverser. Mais seuls ils savent que la chose est impossible, c’est pourquoi ils se sont alliés avec les Séquanes, anciens alliés des Eduens[19]. Revendiquant l’Arar qui forme une frontière naturelle entre les deux peuples, les Séquanes aspirent à récupérer les taxes des marchandises franchissant le fleuve[20]. En 65 avant Jésus-Christ, la défaite a été totale pour les ennemis des Eduens. Pourtant les vœux de leurs principaux contradicteurs ne sont pas morts pour autant.

— Il est avéré désormais que les Séquanes ont bel et bien contacté Arioviste[21], déclare Vitorix à l’adresse de son souverain. Ils ont fait alliance contre les Eduens.

— La logique voudrait que nous soutenions nos protecteurs, réplique Bepolitan en plissant les yeux, comme il en a pris l’habitude quand il plonge dans ses pensées. Pourtant j’hésite. Je crains que mon peuple ne souffre de pareille décision.

— Nous avons des engagements à respecter vis-à-vis des Eduens.

— Certes, mais que nous apportent-ils réellement ?

— Leur protection.

— A d’autres Vitorix. Tu sais très bien que nos rapports sont ambivalents. Un grand frère a toujours tendance à martyriser son cadet. C’est cela la vérité. Ne crois pas que je ne vois pas ce qui se passe réellement là-dehors. Mon peuple a faim. Je ne le plongerai pas davantage dans la misère.

Il réfléchit encore quelques secondes, puis reprend la parole de sa voix puissante et grave :

— Je n’interviendrai pas. Nous resterons de marbre. Qu’il en soit ainsi !

 

Dès lors, les Arvernes, les Séquanes et les Suèves marchèrent sur des Eduens bien isolés. Si les Ségusiaves n’entrèrent pas dans cette guerre, les Romains, alliés des Eduens ne bougèrent guère plus : les Allobroges[22] venaient de se révolter et il fallait mâter au plus vite ce mouvement. Les Eduens furent vaincus à maintes reprises et plus particulièrement lors de la Bataille de Magetobriga le 15 septembre 63 avant Jésus-Christ[23]. Les 15'000 Suèves d’Arioviste passèrent alors le Rhin et leur Roi réclama le tiers du territoire séquane en échange de son intervention.

— Voilà ce qu’il en coûte de s’allier aux Germains, déclara à cet effet Bepolitan.

Refusant pareil marché, les Séquanes furent massacrés par les armées d’Arioviste et au final ce dernier s’installa au nord de leur pays[24]. Tout cela allait amener César à intervenir en Gaule, appelé à l’aide par les Eduens.

Entretemps il s’en était passé des choses en terres ségusiaves : Bepolitan avait décidé de renoncer à son trône, du moins temporairement, le cédant à un lointain cousin. Ses frères n’étaient effectivement pas aptes à embrasser pareil destin. Père avait raison. Argan ne pensait qu’à faire la fête, quant à Melvin il se pavanait tel un paon sur sa monture plus ornée que celle d’un prince oriental, dans des vêtements qui ne l’étaient pas moins.

— J’ai besoin d’action et je vais partir me battre contre les Allobroges, lui dit-il.

L’étonnement était pour le moins de mise : pourquoi aussi loin ? La guerre faisait rage tout proche pourtant. La vérité, il la livra vite à Boricos, son cousin :

— J’ai pu voir les légions romaines à l’œuvre lors d’un de mes voyages et j’aspire à en savoir davantage sur leurs tactiques.

— C’est un voyage d’études si je comprends bien.

— Exactement.

C’est ainsi qu’il se retrouve auprès de ceux qu’il admire tant, à la tête d’une centaine de cavaliers qu’il a spécialement équipé pour l’occasion. La révolte des Allobroges est née à cause des trop forts impôts prélevés par Lucius Licinius Murena[25], alors propréteur de la Gaule transalpine. Peuple fier, possédant de rudes guerriers et regroupant de nombreuses tribus[26], il s’était sédentarisé[27] et vit désormais de l’agriculture.

— Ceux qui se sont révoltés ne sont pas les Allobroges de la vallée du Rhône, commence Prius Picius, centurion de la légion romaine.

L’homme est aussi son commandant. Il existe entre eux une fraternité que Bepolitan pense sincère.

— Ce sont ceux des montagnes, poursuit-il. Jamais ils n’ont accepté notre présence.

Le Ségusiave aimerait lui signifier qu’il se trompe. Les Romains nomment Allobroges l’ensemble des peuples vivant dans la civitate de Vienne jusqu’à la Sapaudia[28]. C’est inexact : il y a les Ambarres, cousins des Eduens, les Cavares ou encore les Voconces. Mais à quoi bon ? Les Romains font parfois preuve d’imbécilité. Ou de suffisance. Ils considèrent les peuples gaulois comme arriérés, pensant qu’ils vivent dans des habitations informes placées sur les rochers, comme le décrit Tite-Live quand il parle de ces Allobroges[29]. En réalité il s’agit d’un des peuples les plus riches et puissants de la Gaule qui laboure ses terres avec une charrue, cultive le froment, le seigle, la vigne. Ils pratiquent l’élevage, fabriquent du fromage, exploitent les forêts, extraient du minerais et contrôlent la vallée du Rhône, tout comme ils font payer le passage vers les Alpes. Par contre il est vrai qu’ils ont toujours été rebelles à l’autorité romaine. Alors que les légions conquéraient une partie de la Gaule au IIe siècle avant Jésus-Christ[30], remontant ensuite le long de la vallée du Rhône, les Allobroges s’étaient alliés aux Arvernes pour les arrêter. Ils avaient été battus à Vindalium où le général Gnaeus Domitius Ahenobarbus les avait effrayés grâce à une troupe d’éléphants chargés d’hommes armés[31]. Ce qui ne les avait pas empêchés de se soulever l’année suivante. Pour mieux perdre[32] et ouvrir aux Romains la conquête de leur territoire et son incorporation dans la province de la Narbonnaise. Déjà en 69 avant Jésus-Christ ils s’étaient plaints des lourds impôts versés à Rome, envoyant une délégation au Sénat. Sans résultat notable. D’où la révolte actuelle.

— Gaius Lentinus, notre général, va mater cette masse de barbares, s’extasie Picius. Tu auras largement l’occasion de voir les légions à l’œuvre. Prends-en de la graine, termine-t-il en levant sa coupe.

Bepolitan la frappe de la sienne avec bonne humeur. Oui, il se réjouit d’avance, tout comme il rêve déjà de l’or et autres trésors qu’on lui a promis.

 

Dans un premier temps les choses ne se passèrent pas exactement comme il l’espérait : le chef allobroge Catugnatos mena ses troupes contre Narbo et Massalia afin de piller ces deux cités. Tendant un piège à Lentinus sur l’Isère, il écrasa les légions. Bepolitan s’en sortit avec ses hommes fort heureusement. Il fallut toutefois attendre deux ans avant que les deux armées ne se retrouvent en un lieu nommé Solo, proche de Ventia[33]. En effet, le général romain avait pour objectif d’assiéger l’oppidum. Apprenant cela, Catugnatos tenta de se porter à son secours, mais fut encerclé par les forces du gouverneur Pomptinus. Dès lors la majeure partie des troupes ennemies furent faites prisonnières : le chef allobroge parvint toutefois à s’enfuir.

En charge d’une partie des prisonniers, Bepolitan se pavane sur sa monture, toisant ceux qu’il ne considère plus vraiment comme des frères. Il se sent puissant et particulièrement fier. En s’alliant aux Romains il a pris la meilleure des décisions : il est certain qu’ils protègeront les siens si d’aventure ces maudits Suèves éprouvaient l’envie de s’emparer de ses terres. Quel bon calcul il a fait là. Sans compter qu’il s’est considérablement enrichi.

Ses nouveaux amis ont pour lui un grand respect. Ils ne cessent de vanter son courage, sont impressionnés par la technique dont il use avec ses cavaliers : ces derniers exacerbent leurs sens, comme on le lui a enseigné dans ses jeunes années, par une danse sauvage, accompagnée d’un chant. Nu, les armes à la main, le guerrier entre alors dans un état de fureur qui le pousse à ouvrir la bouche en grand et à tirer la langue pour que tous puissent voir le fond de sa gorge. C’est là toute la manifestation du dieu infernal chthonien qui dévore ses ennemis. Ayant le sentiment d’être possédé, le Gaulois se pense dès lors invulnérable. Autant dire que les Romains sont eux aussi autant saisis que leurs ennemis. Quand il suspend à l’encolure de son cheval les têtes de ses adversaires, en clouant d’autres devant les portes de leur campement, il exhale la violence de tout un peuple et là aussi les Romains tremblent.

Soudain Bepolitan stoppe sa monture : il a repéré parmi les prisonniers retenus dans un grand espace clos de hautes barrières une femme au physique avenant. Pourquoi elle plutôt qu’une autre ? Il n’en sait rien. C’est ainsi : le cœur a ses raisons que la raison ignore. De taille supérieure à la moyenne, les cheveux blonds coiffés en deux grandes tresses, vêtue d’une tunique grossière, elle possède des formes alléchantes qui ne peuvent être entièrement dissimulées sous l’épais tissu. S’approchant, le Ségusiave s’arrête alors qu’il se trouve à moins de dix pas de l’Allobroge et lui lance d’un ton qui se veut mielleux, mais qui sonne toutefois comme un ordre :

— Comment t’appelles-tu ?

— Elantia, répond-elle d’une voix aux accents merveilleux parce qu’elle n’est pas sans lui rappeler le chant d’un rossignol.

— C’est fort joli.

Elle ne rétorque rien. D’ailleurs que dire ? Elle est prisonnière, il sert les Romains et dirige ceux qui les surveillent. Ils ne sont aucunement alliés. Pire, elle le considère même comme un traître.

—  Ça te dirait de venir te balader avec moi ?

Non, Elantia n’en a aucunement envie, mais peut-elle exprimer pareille objection ? Elle est certaine que si elle lui livre la réelle teneur de ses sentiments, elle passera de vie à trépas en moins de temps que sa tête basculera sur le sol après avoir été découpée par l’énorme épée que cette brute porte sur le côté. Si elle fait semblant d’accéder à sa demande, peut-être aura-t-elle l’opportunité de vivre, voire même de fuir. Elle ne peut se priver d’une pareille aubaine.

— D’accord.

Et voilà qu’il lui tend la main. En un seul geste il la hisse sur la croupe de son cheval pour une course effrénée sur les chemins de la campagne environnante. Quand il juge qu’il est temps de faire une pause, alors qu’ils parviennent au bord d’une jolie rivière, il tire sur le mord de son cheval et ils s’arrêtent après que la monture ait quelque peu renâclé : c’est qu’elle aime se dépenser.

Il lui tend à nouveau la main et l’emmène à sa suite, semblant se comporter avec de bonnes manières, ce qui la rassure : c’est qu’elle craignait qu’il ne la violente une fois les murs de l’oppidum franchis. Toutefois Elantia n’est pas rassurée pour autant : cet homme est si grand et avec ses longs cheveux blonds et ses moustaches de la même teinte il ne parait pas commode. Tout en lui est démesuré. Elle n’ose pas imaginer ce qu’on ne voit pas et qui se cache sous ses braies.

— Ma terre me manque, commence-t-il. Je crois que je vais bientôt y retourner.

Elle regarde le sol, n’osant pas jeter le moindre coup d’œil vers cet être qui l’effraie. Avec ce genre de personne mieux vaut faire profil bas.

— Je suis Ségusiave, reprend-il, comme s’il répondait à une question que pourtant elle n’a pas posé. J’étais même Roi, mais j’ai renoncé à mon titre pour partir à l’aventure. J’en ai vu des choses. Cependant c’est du passé.

Ils parviennent au bord de l’eau. L’endroit est merveilleux, agrémenté de saules pleureurs qui étirent leurs longues branches vers la rivière. Il fait chaud, les oiseaux chantent, la vie semble avoir suspendu son cours et les horreurs de la bataille derrière eux. Pourtant la jeune femme frissonne.

— Tu as froid ? demande-t-il en ôtant déjà sa cape.

Il la passe sur ses épaules et avec une douceur étonnante il tente de la réchauffer. Très vite il comprend d’où vient ce trouble :

— Je ne suis pas un monstre, lui chuchote-t-il au creux de l’oreille. Oh bien sûr je sers tes ennemis, mais je suis Gaulois moi aussi. Et je n’ai aucunement l’intention de te faire du mal.

Il s’écarte, vient se positionner face à elle, lui redresse le menton et d’une voix particulièrement réconfortante, il continue :

— Je te trouve très belle. Non, c’est faux… Tu es la plus belle des femmes qu’il m’ait été donné de rencontrer.

Il rougit. C’est mignon.

— Je ne suis pas doué pour ce genre de choses. Je ne sais pas comment faire…

Il se gratte la tête à présent, manifestement très embarrassé.

— Peut-être pourrais-tu m’apprendre ?

Elle relève enfin complètement son doux visage et souriant magnifiquement, elle finit par murmurer :

— Je ne sais pas.

— Je te promets que je prendrai soin de toi ! s’exclame-t-il subitement en se jetant à ses pieds. Mon seul bonheur serait de te voir tous les matins ! Tu es comme un rayon de soleil posé sur la rosée d’une feuille ! Je ne te demande rien d’autre ! Juste la joie de te regarder ! Et je ne ferai rien qui puisse t’importuner, termine-t-il en levant ses grands sourcils, tel un chien battu, non sans esquisser un sourire enjôleur.

Elantia réfléchit rapidement. Voilà l’opportunité qu’elle attendait. Il sera plus que cela : il va lui servir de passe-partout. Alors soit ! Tant pis pour ce grand nigaud !

 

A SUIVRE

[1] En 82 av. J.-C. Il s’empare ainsi des pleins pouvoirs et donc du Sénat dans le but de sauver la République aristocratique (sans volonté monarchiste pour autant). Il finir par abdiquer 6 mois plus tard et conservant son imperium il se fait élire consul en 80 av. J.-C. Mais en 79 av. J.-C. il se retire de la vie politique et meurt l’année suivante.

[2] Elle couvre les gorges de la Loire et est partagée avec un autre peuple, client des Arvernes : les Vellaves. Elle s’étend sur le Roannais, la région de Givors, la plaine et les monts du Forez, les monts du Lyonnais, la rive gauche de la Saône et Lyon. Les frontières exactes sont assez mal connues. Les Eduens ont annexés une partie du territoire à une date non déterminé.

[3] Probablement vers le 5e s. av. J.-C. Leur origine demeure inconnue, mais ils pourraient être de parenté avec les Séquanes. Très vite ils imposent leur présence par l’établissement d’oppida et d’agglomérations.

[4] Bâti sur l’actuel site du château d’Essalois, probablement vers 170 av. J.-C.

[5] Il prend véritablement de l’importance après la défaite arverne à la Bataille de Bollène (121 av. J.-C.) qui leur fait perdre leur contrôle sur la vallée du Rhône. Dès lors les Ségusiaves peuvent commercer plus intensément avec les peuples voisins et même jusqu’en Campanie et avec le sud-Latium.

[6] Les mots tiret et tiretaine sont d’ailleurs tirés de Tyr et témoignent de cette époque oubliée.

[7] Depuis le 2e s. av. J.-C.

[8] Les Ségusiaves deviennent même les clients (vassaux) des Eduens peu avant que César ne lance sa Guerre des  Gaules. C’est au sein d’une confédération que les Eduens espèrent contrecarrer les prétentions des Arvernes et des Séquanes, leurs ennemis.

[9] La Loire.

[10] L’Atlantique, la Méditerranée et la Mer du Nord.

[11] Ils élèvent le porc, le bœuf et le mouton, mais très pu les céréales parce qu’il ne pleut que peu sur le territoire ségusiave.

[12] Il les désigne sous ce terme parce qu’il s’agit des combattants utilisant le cheval.

[13] Les Gaulois sont réputés jusqu’à la fin de l’Empire pour leurs chiens de chasse qu’ils importent depuis l’Irlande.

[14] Il sert aussi en bataille.

[15] Déesse des eaux qui donne son nom antique à Moingt (alors Aquae Segetae). Elle est associée au dieu majeur du panthéon celte Lugus (ou Lug) : elle est même sa compagne.

[16] Entre 113 et 101 av. J.-C.

[17] En 72 av. J.-C. Il faut relever qu’il s’agit de la partie des Boïens et Helvètes qui n’ont pas suivis les Cimbres dans leur migration.

[18] Actuelle Magdebourg.

[19] Ils partagent une monnaie commune.

[20] Ils contrôlent déjà l’accès au Rhin et y ont bâti une ville fortifiée : c’est Vesontio (Besançon).

[21] Roi des Suèves.

[22] Peuple gaulois qui vit entre le Rhône et les Alpes (Gaule Narbonnaise), donc particulièrement proche de l’Italie.

[23] Le lieu exact de la bataille n’est pas connu : elle a peut-être eu lieu près de Sélestat. La date aussi est incertaine.

[24] 24'000 Hérudes (autre peuple germain) s’installent également en Gaule.

[25] Né en 105 av. J.-C. C’est lui qui déclenche la Deuxième guerre de Mithridate en envahissant le Pont qui était sous le contrôle de Mithridate IV. Sylla lui ordonne de cesser ses offensives. Devenu préteur en 65 av. J.-C., il devient célèbre par la splendeur des ludi qu’il organise. Elu consul en 63 av. J.-C. (pour l’année 62 av. J.-C.) il est accusé de corruption par un de ses adversaires au consulat, Servius Sulpicius (lui-même soutenu par Caton d’Utique). Défendu par Cicéron qui compose à cet effet le Pro Murena, il est relaxé.

[26] Il s’agit d’une confédération de différents peuples.

[27] Ils se sont installés dans les Alpes au IIIe s. av. J.-C.

[28] Pays des Sapins (territoire correspondant plus ou moins à l’actuelle Haute-Savoie).

[29] Il les décrit aussi comme velus et sans soin.

[30] Nord de Marseille.

[31] 122 av. J.-C.

[32] Ils perdent plus de 100'000 hommes.

[33] Probablement l’oppidum du Malpas à Soyons qui se trouve face à Ventia (Valence).

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